Lost and led only by the stars
(Songopovi, Second Mesa, Arizona, 03-01-2015)
Il faut bien l’avouer, cette portion du road-trip, on n’en attendait pas forcément grand-chose. C’était, faute de temps, tout au plus juste une étape qui nous amènerait au Grand Canyon. Et en plus il faisait gris. Et froid. Et moche. Non, vraiment, rien pour plaire, cette partie du trajet !
Enfin en théorie… Parce qu’en réalité, finalement, même avec fort peu de temps découvrir le Lake Powell version gris acier sous des nuages de plomb, ce n’était pas si affreux. Surtout quand, guacamole sur le chili, le soleil, ce gros béta, décide brusquement qu’il a assez boudé et qu’il est finalement temps de sortir de sa cachette. Juste au-dessus de Glen Canyon Dam et juste à temps. De quoi pousser des oh ! et des ah ! et des wow ! et des awww !
Après Page et son barrage immense, après les immenses monolithes saupoudrés de neige (rep à ça, Uluru !), la route s’est allongée dans la lumière rasante du presque-couchant-même-s’il-est-trois-heures-de-l’après-midi-damn-you-winter ! Et elle s’est d’autant plus allongée que LaGB, frappée une fois de plus par une crise de roadatlasite aigue, a soudainement (enfin, depuis fort longtemps en réalité) (LaGB est tenace, c’est là son moindre défaut) décidé qu’avant de rejoindre le Grand Canyon, il fallait absolument traîner nos guêtres à Second Mesa. Juste un petit détour, affirmait-elle avec force, oubliant, dans son empressement, qu’en général, les détours, c’est de l’aller-retour… L’arrivée au dit Grand Canyon fut donc beaucoup plus tardive qu’initialement envisagée, dans la nuit noire (mais sous les étoiles et dans la neige, c’est romantique, non ?). Heureusement, les kangourous avaient piscine (comment ça, il n’y a pas de marsupiaux en Arizona ?) et les ours ronflaient de concert quelque part au fin fond d’une grotte, assurant une arrivée certes tardive mais surtout dénuée de toute péripétie animalière.
Et puis surtout, les détails kilométriques étaient passés à la trappe depuis fort longtemps : à Kykotsmovi (Third Mesa), on a rencontré Ernie Northrup et son rire en tremblement de terre dans sa petite caravane-boutique d’art Hopi toute tapissée de kachinas. On a beaucoup causé, enfin, surtout lui. Il nous a raconté des histoires de tonnerre, de vent et d’aventures des temps d’avant. Et de Walt Disney aussi, venu le rencontrer à son école, afin qu’il enregistre des morceaux à la flute traditionnelle il y a fort longtemps quand il était enfant… Et de sa mère, de ses enfants, des artistes qu’il expose. Du passé et de ce qui viendra. Des étoiles et de ce que l’on emporte avec soi. Des kachinas et de leur magie. Il a joué de la flûte et le tonnerre s’est invité dans la boutique. On écoutait bouche-bée et on n’en perdait pas une miette. Le soleil a fondu loin derrière les montagnes et on a continué à écouter. Et puis, le cœur gros, on a dû repartir (la faute au fameux aller-retour). Nichée dans une écharpe, posée entre nous deux, une kachina cactus pour faire pousser les souvenirs et ce qui viendra. Comme une preuve qu’on n’avait pas rêvé.