Un club pas si fermé

Ceci est sans doute l’article le plus personnel que j’ai jamais écrit ici. Et ça fait rudement bizarre. Mais ça fait aussi rudement du bien.

J’ai longtemps professé un certain dédain pour la couleur des mois. Octobre rose, tout ça, c’est bien joli mais bon, hein, c’est tous les mois qu’il faut sensibiliser les gens. Les grandes certitudes, vous savez…

Mais cette année, mars est jaune. Et pas seulement parce que les feuilles s’envolent et craquent sous la semelle ou parce que la lumière s’adoucit déjà. Non, cette année, mars est jaune comme octobre est rose et certaines certitudes ont rejoint les feuilles mortes. Il était sans doute temps…

Gamine, il y a vingt ans, un médecin m’a expliquée le plus sérieusement du monde  qu’il était normal d’avoir mal quand on était une femme. Se plaindre, c’était faire preuve de chochotterie. Parce que, tout de même, je n’étais pas une chochotte, j’ai cru qu’il était normal de souffrir parfois à ne pas pouvoir marcher. Et puis, ça devrait bien finir par passer, que diable !

Ça n’a pas fini par passer mais j’ai fait avec. Ça a même fini par empirer, en fait. Mais je n’étais pas une chochotte alors je n’en ai pas parlé. J’ai fait avec. J’ai appris à gérer la douleur comme je pouvais. Visiblement, je n’étais pas très douée pour cet apprentissage-là. Malgré tous mes efforts, je devais sans doute être une chochotte après tout. Toute la bonne volonté du monde n’a pas réussi à m’empêcher de rater une à trois journées de travail par mois. Parce que j’avais mal à en vomir, parce que j’avais mal à m’évanouir. Une chochotte, on vous dit.

Et puis, tout doucement, les douleurs ont décidé que quelques jours par mois, ce n’était pas assez et j’ai commencé à avoir mal plus souvent puis très souvent, puis quasiment tout le temps. A ne plus pouvoir cacher à quel point j’avais mal, à vivre en permanence dans le brouillard. C’était il y a un peu plus de six mois. Et poussée par un LeGB tout de même un brin très en souci, j’ai fini par en parler. Pas tout de suite, il a fallu du temps pour que j’ose avouer mon statut de chochotte en chef. Le médecin n’a pas tergiversé plus de dix secondes avant de poser son diagnostic. Point de chochotterie exacerbée mais une endométriose passée inaperçue pendant vingt ans.

Ces quelques mots ont tout changé, ils ont bouleversé vingt ans de certitudes trop bien installées. Pendant vingt ans, j’ai souffert sans savoir pourquoi, en ayant même honte d’avouer que j’avais mal (la chochotterie, on vous dit). Soudain, je pouvais poser des mots sur cette souffrance et je pouvais enfin m’autoriser à avoir mal, à être épuisée, à ne plus avoir honte.

C’était il y a six mois. Il y a six semaines, j’ai été opérée. Les premiers jours, le moindre pas prenait des airs d’aventure incroyable et un tour jusqu’à la salle de bains me transformait en Indiana Jones (le chapeau et le fouet en moins) (quelle déception). Depuis, j’ai découvert la vie sans douleur, la vie sans grimace en regardant le calendrier, la vie sans l’angoisse de la douleur à venir. Et c’est une libération incroyable. Comme si le soleil était enfin revenu d’un bien trop long séjour derrière les nuages.

Il y a six mois, j’ai rejoint le club pas si fermé des femmes atteintes d’endométriose (on a vu club plus exclusif : il compte pour membres près de dix pour cent de la population féminine mondiale). Et j’ai de la chance, beaucoup de chance : je bénéficie du soutien sans faille de mon LeGB, j’ai rencontré un médecin, puis un chirurgien qui ont su m’écouter, je vis dans un pays où j’ai accès aux traitements nécessaires. Je ne suis pas guérie mais je peux être soignée.

Voilà six mois que j’hésitais à écrire cet article. Je l’ai rédigé dans ma tête des centaines de fois et j’ai renoncé tout aussi souvent. Mais j’ai appris cette semaine que mars était le mois de sensibilisation à cette maladie. Et je me suis dit qu’il était temps. Il est temps que je laisse définitivement la honte et la chochotterie derrière moi. Il est temps que j’apporte ma petite touche de jaune. Pour qu’un jour, on ne dise plus aux jeunes filles qu’il est normal de souffrir.

12 thoughts on “Un club pas si fermé

  1. ampelopse

    Tres personnel en effet…Courageuse, moi je dis! Pas chochotte!
    Il y a quelques semaines, je suis aller googler pour savoir ce qu etais l endometriose…et j ai trouve ca pas cool…Aujourd hui je trouve plutot cool que tu y mettes du jaune dessus…
    Et tout aussi cool de te lire…enfin, car ca fait quelques semaines que je guette, jour apres jour un petit article sur ce blog!
    Courageuse…pas chochotte!

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    • lagrandeblonde Post author

      Merci !
      Je vais essayer de revenir plus souvent. Parce que ca me manque (et LeGB a plein de photos en attente, en plus !)

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  2. Juliette

    Chochotte ou pas, chapeau (d’Indiana Jones) pour ce post… et de tout coeur avec toi, vous. Jaune ce moins sera alors, contente de lire qu’on s’occupe de toi comme il se doit. Si par hazard vous passez par Sydney faites signe :) la bise a vous!!

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  3. Mathilde

    Oh, ça fait longtemps que je n’étais pas passée par ici !
    Chère laGb, cet article sincère fait du bien ! J’ai eu la chance de recevoir un diagnostic précoce d’endométriose, et je me suis faite opérée à 17 ans. Depuis, plus de douleurs.
    Merci pour ce bel article !

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  4. sophiefromthetrain

    bravo pour tout ce courage, d’avoir souffert tout ce temps, d’avoir lutté, d’avoir résisté, d’avoir parlé, d’avoir « opéré »… bravo, bravo et merci. Et des bisous <3

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  5. Severine

    Ça faisait une éternité que je n’étais pas venue (honte à moi)
    Et pourtant tu écris toujours aussi bien, même pour parler de toi
    Et point de chochotteries dans ce message, juste du courage
    Je t’embrasse

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    • lagrandeblonde Post author

      Une eternite plus tard (honte a moi), un tres grand merci! Ton commentaire me touche tellement!
      Des bises. Et merci.

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